Dix façons d’améliorer le monde du travail après la pandémie de COVID-19

3 juin 2020
Par Jim Stanford

Sommaire 

La pandémie de COVID-19 a entraîné une catastrophe économique sans précédent : on a forcé délibérément des secteurs entiers de l’économie à cesser leurs activités pour protéger la santé, et le chômage a atteint des niveaux semblables à ceux observés durant la Grande Dépression en quelques semaines. Pour se remettre de cette catastrophe, il faudra des années pour reconstruire l’économie et la situation sociale. Le rétablissement qui suivra la pandémie de la COVID sera inévitablement dirigé par le gouvernement, fort de ses ressources financières inégalées, de sa capacité de planification et de ses pouvoirs sur le plan de la réglementation et le plan social. Cependant, il faudra des années pour redonner du travail aux millions de Canadiens qui ont vu leurs possibilités d’emploi s’évaporer.

Cependant, à mesure que nous reconstituons le bassin d’emplois, les acteurs de la scène économique doivent aussi chercher des moyens d’améliorer la qualité du monde du travail, c’est-à-dire sa stabilité, sa durabilité et son caractère équitable. Les lignes de faille de longue date du marché du travail canadien ont été brutalement exposées par la pandémie de COVID-19 et la contraction économique sans précédent qu’elle a causée. La réparation de ces défaillances structurelles sera une condition préalable essentielle à la reconstruction durable de l’économie nationale. La réforme du monde du travail n’est pas seulement un impératif moral, c’est quelque chose que nous souhaitons, parce que nous voulons un marché du travail juste et inclusif. C’est aussi une nécessité économique, c’est-à-dire que l’économie canadienne ne pourra pas fonctionner avec succès après la pandémie sans que l’on déploie de solides efforts ciblés pour régler ces problèmes historiques dans le monde du travail.

Le présent document examine dix façons dont le monde du travail doit changer à la suite de la pandémie « pour le bien » et « pour de bon », c’est-à-dire sur le plan qualitatif et de façon permanente. Si nous voulons que la réouverture et la reconstruction de l’économie nationale soient soutenues et couronnées de succès, nous devons régler ces problèmes, permettre aux travailleurs de faire leur travail efficacement et en toute sécurité et permettre à la société de se reconstruire et de prospérer grâce au talent, à la productivité et à l’engagement de ses membres. Les dix changements sont les suivants :

  1. Garantir des pratiques et de l’équipement appropriés au regard de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail afin de protéger les travailleurs contre d’autres infections ou dangers.
  2. Reconfigurer les relations spatiales dans les lieux de travail (et les endroits et installations connexes, comme les transports en commun) afin de protéger la santé des travailleurs et des clients et d’améliorer la qualité de vie au travail.
  3. Offrir des congés de maladie payés adéquats et d’autres mesures de sécurité du revenu aux travailleurs qui ne peuvent pas travailler en raison des effets directs ou indirects de la contagion.
  4. Veiller à ce que le travail à domicile se fasse de façon équitable, sûre et durable et à ce que les travailleurs puissent retourner à leur lieu de travail habituel lorsqu’ils le désirent et que c’est approprié de le faire.
  5. Limiter les pratiques d’emploi précaire (qui se sont révélées un risque important pour la santé publique) et fournir la protection nécessaire ainsi que des mesures de soutien décentes aux travailleurs visés par ce genre de pratiques.
  6. Appuyer l’inévitable augmentation du nombre d’emplois dans toute la gamme des fonctions et des services du secteur public, ce qui apportera une grande vigueur au marché du travail dans les années à venir.
  7. Réduire le recours aux stratégies de gestion, de dotation et de logistique « juste-à-temps » et admettre que les dédoublements et les substituts ont une véritable importance sur le plan économique et celui de la sécurité.
  8. Reconfigurer l’approche du Canada en matière de sécurité du revenu pour enfin reconnaître toute la diversité des régimes de travail modernes, et pas seulement la « relation de travail traditionnelle », qui sous-tendait les politiques d’aide sociale d’après-guerre.
  9. Revaloriser le travail des professions qui se sont révélées essentielles au bien-être et à la sécurité publique pendant la pandémie — notamment celle des travailleurs de première ligne des services de santé et d’urgence, mais aussi la profession des gens qui accomplissent des tâches moins appréciées (vente au détail, transports, fabrication et entretien) dont les emplois sont dévalués depuis des années.
  10. Instaurer des structures qui donnent plus de voix, de représentation et de pouvoir de négociation aux travailleurs afin qu’ils puissent bien protéger leur propre sécurité et promouvoir leurs propres intérêts économiques à l’avenir.

Le dernier de ces dix thèmes, à bien des égards, est le fil conducteur qui relie tous les autres. Pour obtenir des milieux de travail sûrs, des congés de maladie payés adéquats, des ententes de télétravail équitables et d’autres améliorations cruciales, les travailleurs canadiens devront faire preuve de beaucoup d’initiative et exercer plus de pouvoir dans les débats et dialogues qui auront lieu avant que ces changements soient adoptés. Lorsque les milieux de travail et la société en général s’assurent que les travailleurs ont un rôle reconnu et valorisé dans l’établissement des paramètres de la vie professionnelle (qu’il s’agisse de la sécurité, de l’espace ou de la rémunération), alors le travail peut effectivement devenir sûr, juste et s’améliorer.

Prenons le seul exemple opportun et frappant de l’importance de la voix et de l’action des travailleurs pour l’avenir du monde du travail. Si les salariés des usines de transformation de la viande avaient eu les connaissances, la sécurité d’emploi et le pouvoir d’arrêter sur-le-champ le travail dangereux au lieu d’attendre en vain que les employeurs et le gouvernement réagissent au risque évident de contagion dans cette industrie, des milliers d’infections et de nombreux décès auraient pu être évités. Au lieu de cela, les activités se sont poursuivies alors qu’elles auraient dû être interrompues. Et les éclosions qui en ont résulté ont considérablement nui à la santé publique.

En rétrospective, la tolérance de la société à l’égard de l’insécurité, de l’exploitation et même de la répression omniprésentes a contribué à certains des pires résultats de la pandémie. Certains employeurs, certains dirigeants politiques et une grande partie de la population ont implicitement accepté que de nombreux groupes de travailleurs peu rémunérés et qui occupent un emploi précaire deviennent « naturellement » victimes de cette pandémie. Autrement, ils auraient, pour protéger la sécurité des travailleurs des abattoirs et des travailleurs à faible revenu, réagi aussi énergiquement et concrètement qu’ils le font pour protéger la santé des cadres et des politiciens (dont aucun ne devait travailler dans des espaces clos, sans équipement de protection adéquat).

Il se peut que nous ne soyons pas en mesure de prévoir ou de prévenir entièrement les futures vagues de contagion ou les autres menaces importantes à notre bien-être collectif (comme les changements climatiques, la violence ou les inégalités). Mais nous pouvons certainement outiller et habiliter tous les segments de la société, y compris celui des gens qui occupent les emplois les plus humblement rémunérés et tenus pour acquis dans l’ensemble de l’économie, pour que tous puissent se protéger et protéger la société en général contre ces menaces. En changeant le monde du travail pour de bon après cette pandémie, nous bâtirons une société meilleure et sûre.