Nous aurons besoin d’un plan Marshall pour assurer la reconstruction après la COVID-19

Nous sommes en guerre et il faudra un plan de reconstruction public pour rebâtir notre économie et créer des possibilités. La dette remontera en flèche, mais c’est un mal nécessaire.


(Traduction d’un article initialement publié en Options Politiques, 2 avril 2020.)
Par Jim Stanford
Les décideurs économiques se sont concentrés, à juste titre, sur la lutte contre les chocs économiques immédiats causés par la pandémie de COVID-19 en élaborant de nouvelles mesures d’aide au revenu pour les millions de personnes qui en ont besoin, en stabilisant le système du crédit et en acheminant de l’aide d’urgence à des centaines de milliers d’entreprises qui, autrement, s’effondreraient au cours des prochains mois. Mais en même temps, il faut commencer à penser à ce qui viendra par la suite. La première chose à faire en effet est de fournir une mesure de transition financière pour que les entreprises, les travailleurs et les ménages puissent survivre pendant les prochains mois inquiétants. Ensuite, notre deuxième tâche consistera à nous préparer à démarrer la production une fois que la crise sanitaire en cours sera passée et que nous serons enfin autorisés à quitter la maison et à retourner au bureau. Il est déjà clair que la rapidité et l’ampleur sans précédent de ce ralentissement nécessiteront des mesures inédites pour relancer l’économie. Essentiellement, nous menons une guerre : une guerre contre la maladie et ses effets sur notre société et notre économie. Grâce au solide leadership du gouvernement, nous mettons à juste titre toutes les ressources possibles à profit pour remporter cette guerre, notamment en ayant recours à des instruments de commandement et de contrôle directs qui ont perdu la faveur au cours des dernières générations de politiques qui célébraient le culte du marché. Préparez-vous à une baisse à deux chiffres du PIB cette année (la plus forte contraction jamais enregistrée), à l’effondrement de milliers d’entreprises et même d’industries entières, et à un taux de chômage supérieur à 20 %. Il n’y a aucune possibilité que la dynamique normale et graduelle d’une reprise « typique », alimentée par le rebond progressif de la confiance, de l’investissement et des dépenses, puisse régler les choses à la suite de ce genre d’interruption des activités. Et les outils traditionnels de la politique monétaire et budgétaire anticyclique ne seront pas en mesure de stimuler la reprise non plus. En effet, la politique monétaire a déjà perdu la plus grande partie de son efficacité en raison des taux d’intérêt proches de zéro et des emprunteurs qui s’inquiètent de ce qui s’en vient. Les futures réductions des taux n’auront pratiquement aucune incidence sur l’activité économique réelle au cours de la prochaine année et par la suite. Les interventions budgétaires doivent elles aussi aller plus loin que les mesures anticycliques d’investissement qui visent à stimuler l’économie pour plutôt orienter directement la reprise, l’investissement et la croissance. Bref, combattre le coronavirus, c’est comme faire la guerre. Et pour nous rétablir après cette guerre, nous devrons étudier les leçons tirées des reconstructions d’après-guerre précédentes. Imaginez la reconstruction post-pandémie comme un plan Marshall moderne (qui reprendrait le concept des énormes efforts financés par différents gouvernements pour rebâtir l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale). Nous aurons besoin d’un engagement semblable à l’égard de la reconstruction globale. Nous aurons besoin de l’injection de capitaux tout aussi importants. Et il nous faudra être tout aussi disposés à utiliser des outils de gestion et de réglementation directe de l’économie pour y arriver, notamment au moyen de la fonction publique, de la propriété publique et de la planification. Pendant de nombreuses années, l’économie du Canada comptera sur la fonction publique, les investissements publics et l’entrepreneuriat public comme principaux moteurs de la croissance. Ces derniers nous aideront à nous remettre du ralentissement économique en cours, à nous préparer aux crises sanitaires et environnementales futures et à faire face aux conditions désespérées dans nos collectivités. La faiblesse chronique des dépenses en capital des entreprises privées ces dernières années indiquait déjà le besoin croissant d’investissements publics pour ouvrir la voie. Après la COVID19, il est impossible d’imaginer que les dépenses en capital du secteur privé pourraient mener au redécollage de l’économie nationale en ruine. Quelle forme prendra ce plan de reconstruction piloté par le secteur public ? Il existe de nombreuses mesures prioritaires en matière de ressources publiques et de leadership économique. Elles permettraient toutes de créer des emplois, de fournir des services essentiels et de raviver notre capacité de travailler, de relancer notre production et de stimuler les dépenses:

  • Services médicaux et installations médicales. Le système de santé publique au Canada a répondu courageusement à la demande générée par la COVID-19, mais la crise a mis en évidence ses faiblesses de longue date. Nous devrons investir des dizaines de milliards de dollars dans la réparation et l’amélioration des établissements de santé (notamment dans les services connexes comme les soins aux personnes âgées et les services de santé communautaires), la formation et l’emploi d’un plus grand nombre de travailleurs de la santé, de même que dans l’amélioration de la préparation en vue de la prochaine pandémie

  • Transport. Les compagnies aériennes et les autres fournisseurs de transport en commun ont été parmi les plus durement touchés par la pandémie. Ils auront besoin d’injections de capitaux publics et d’autres mesures directes pour se rétablir.

  • Infrastructures publiques. Le sous-investissement dans les infrastructures publiques depuis les années 1980 a gravement nui à la productivité et au bien-être des Canadiens. Le moment est venu de s’engager à l’égard d’un programme d’investissement public soutenu, qui consistera à augmenter les dépenses publiques en capital d’au moins la moitié (qui passerait de moins de 4 % du PIB aujourd’hui à 6 % ou plus).

  • Autres services publics. Toute l’attention est actuellement portée sur les services de santé, pour de bonnes raisons. Mais d’autres services publics ont également besoin d’investissements et d’expansion, notamment le secteur des soins destinés aux personnes âgées, de l’éducation de la petite enfance, des services aux handicapés et de la formation professionnelle. Alors que l’économie post-pandémie disposera d’un énorme excédent de main-d’œuvre sous-utilisée, l’expansion des services publics sera un moteur de croissance, et pas seulement un « coût ».

  • Transition en matière d’énergie et de climat. Étant donné que le prix du pétrole Western Canada Select a chuté à près de zéro (et qu’il n’y a aucune raison de s’attendre à un rebond soutenu dans une mesure qui justifierait de nouveaux investissements), il est clair que la mise en valeur des combustibles fossiles ne mènera plus jamais la croissance canadienne. Les politiciens et les membres de leur « centre de crise » peuvent être furieux devant cet état de fait, mais ils ne peuvent rien y changer; ils feraient aussi bien de prier pour le regain des prix des peaux de castor ou d’autres marchandises canadiennes du passé. L’envers de ce sombre tableau est cependant l’énorme investissement nécessaire et les possibilités d’emploi associés à la construction de systèmes et de réseaux d’énergie renouvelable (qui forment maintenant l’option énergétique la moins coûteuse de toute façon). Cet effort doit être mené grâce à une politique gouvernementale ferme et cohérente, notamment grâce à une réglementation directe et des investissements publics (en plus de la tarification du carbone). En outre, les investissements dans l’assainissement d’anciens sites pétroliers et miniers créeront un nombre élevé d’emplois, comme Ottawa et l’Alberta l’ont déjà établi.
Bref, il ne manque pas de tâches urgentes à accomplir pour reconstruire notre économie et nos collectivités. Les arguments en faveur de la mobilisation de ressources pour répondre aux besoins connexes, sous la direction des gouvernements et d’autres institutions publiques, sont convaincants. Nous pouvons mettre les gens au travail, réparer les dommages causés par cette crise (et mieux nous préparer à la prochaine) et fournir des services essentiels et précieux. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un modèle différent pour l’organisation et la direction de l’activité économique, et d’un institut C.D. Howes modernisé, pour que nous arrivions à façonner et à mettre en œuvre la vision à préconiser. Certains décideurs et politiciens feront ressortir les arguments couramment avancés sur les dangers des gouvernements tentaculaires. Pour l’instant, ils sont silencieux : je n’entends personne réclamer moins d’interventions de la part du gouvernement ni de faible taux d’imposition, maintenant que la société dépend soudainement et sans équivoque de la capacité d’action du gouvernement pour sa survie. Mais une fois l’urgence immédiate passée, les campagnes de peur traditionnelles au sujet des déficits et de la dette, les tracasseries administratives et les distorsions du marché s’intensifieront. Il faudra alors rejeter ces arguments.  Oui, les déficits seront énormes au cours des prochaines années. Il faut s’attendre à ce que le déficit du gouvernement fédéral atteigne 150 milliards de dollars ou plus cette année et l’année prochaine, et encore plus de déficits à l’échelle provinciale. La dette publique dépassera les 100 % du PIB d’ici quelques années. En fait, tout résultat autre démontrerait que le gouvernement ne fait littéralement pas son travail pour protéger les Canadiens contre cette crise. Loin de nous préoccuper de cette dette, nous devrions plutôt la célébrer. Et nous devrions être prêts à en faire plus pour financer la reconstruction post-pandémie, comme nous l’avons fait après la Seconde Guerre mondiale. Dans le contexte d’une économie en ruine, la dette publique n’est que le revers de l’investissement public. Et nous aurons besoin énormément de ce dernier. Les taux d’intérêt, déjà au plus bas avant la crise, ont chuté en dessous de 1 % (même pour les obligations sur 30 ans). Exprimé en termes réels, il s’agit d’un résultat négatif et par conséquent, le gouvernement économise littéralement de l’argent en empruntant. (Il rembourse moins en termes réels qu’il n’a emprunté). Une fois la crise immédiate réglée, nous pourrons recourir à d’autres stratégies pour gérer la dette, comme les reports, le refinancement et la monétisation (au moyen d’assouplissements quantitatifs et d’outils semblables.) Les grandes crises font peur et présentent leur lot de dangers. Mais une crise peut aussi représenter une occasion à saisir. La capacité des Canadiens de travailler, de relancer la production et de prendre soin les uns des autres perdurera à la suite de cette pandémie. Tout ce dont nous avons besoin, c’est de faire preuve de leadership et de raviver le pouvoir d’achat pour exploiter pleinement nos capacités. Les investissements dans la fonction publique, l’infrastructure et la reconstruction renforceront notre économie et la rendront plus résiliente, car cela créera des emplois, générera des revenus, permettra d’offrir les soins et services nécessaires et générera des impôts, sans parler de la création d’un monde plus sain, plus sûr et plus durable.